13

Les flics ne vinrent jamais ; quoi que Vivian Kaplan ait eu en tête, cela se termina en queue de poisson et je pus me détendre. Dans les jours qui suivirent, ma température redescendit à la normale tout comme, sans doute, ma tension artérielle. Je me mis à réfléchir de façon plus raisonnable. Je demandai toutefois conseil à mon avocat sur la conduite à suivre par rapport à la drogue qu’on cachait chez moi.

« Écrivez une lettre à la Brigade des stupéfiants du comté d’Orange, dit-il. Expliquez-leur la situation.

— Est-ce que…

— Ils pourront toujours vous coffrer, mais quand ils découvriront la lettre dans leurs dossiers ils se montreront peut-être indulgents. »

Mais rien ne se passa. Je me remis à dormir la nuit. De toute évidence, Vivian avait bluffé ; je commençais à remarquer qu’on bluffait beaucoup autour de moi. La police semblait raffoler de cette tactique ; cela devait avoir à voir avec le fait d’amener le suspect à exécuter lui-même le sale boulot, comme je m’étais empressé de le faire.

Ils bouffent des types comme moi au petit déjeuner, me dis-je. Mon idée de manœuvrer Vivian Kaplan pour que nous roulions ensemble dans la paille avait sérieusement entamé ma confiance en mes propres tactiques. Je n’arrivais pas à retrouver la certitude qu’à la fin moi et les gens comme moi l’emporteraient. Pour l’emporter, il me faudrait devenir beaucoup moins stupide.

Bien sûr, je racontai toute l’histoire à Nicholas. Et, bien sûr, il demeura incrédule.

« Tu as fait quoi ? s’écria-t-il. Tu as couché avec une mineure des APA qui trimbalait de la drogue dans son sac à main ? Bon Dieu ; si on te filait une lame de scie à métaux planquée dans un gâteau, tu scierais tes barreaux pour rentrer en prison. Tu veux que je te fournisse le gâteau ? Rachel sera heureuse de t’en faire un. Trouve la scie toi-même.

— Vivian me faisait tellement de numéros en même temps que je me suis emmêlé les pinceaux, dis-je.

— Une fille de dix-sept ans pousse un adulte intelligent en prison. Alors qu’il est superprudent.

— Ça ne serait pas la première fois, fis-je, sérieux.

— Écarte-toi de son chemin, à partir de maintenant, dit Nicholas. Ne la vois plus du tout. Passe ton temps avec des putes, si nécessaire. Tout sauf elle.

— Ça va », fis-je d’une voix irritable. Mais je savais que je reverrais Vivian Kaplan. Elle me chercherait. Il y aurait une seconde manche contre les autorités – et peut-être plusieurs. Jusqu’à ce qu’ils nous aient pris dans leurs filets, Nicholas et moi, d’une manière satisfaisante pour eux. Jusqu’à ce que nous soyons inoffensifs.

Je me demandai si la prétendue protection que SIVA accordait à Nicholas s’étendait à moi. Après tout, nous étions dans le même bain : deux arrêts majeurs sur le réseau de la culture populaire, selon les termes des agents des APA. Des chevilles ouvrières, pour ainsi dire, au sein de la vox populi.

Peut-être la seule entité vers laquelle nous pouvions nous tourner pour chercher de l’aide dans cette situation tyrannique était-elle SIVA. SIVA contre F.F.F. Le Prince de ce Monde – Ferris Fremont – et son ennemi venu d’un autre royaume, un ennemi dont Fremont ignorait jusqu’à l’existence. Un produit de l’esprit de Nicholas Brady. Le pronostic n’était pas réconfortant. J’aurais préféré quelque chose ou quelqu’un de plus tangible. Enfin, c’était toujours mieux que rien. Cela procurait un certain réconfort psychologique. Nicholas, dans l’intimité de nos séances de bavardage privées, se représentait de vastes opérations menées par SIVA et ses forces transcendantes à l’encontre du cruel asservissement auquel nous étions soumis. C’était assurément mieux que regarder la télé, qui diffusait désormais principalement des dramatiques de propagande chantant les louanges de la police, des autorités en général, de la guerre, des accidents de voitures et du Vieil Ouest, où des vertus simples avaient prédominé. John Wayne était devenu le héros populaire officiel d’Amérique.

Et il y avait aussi l’hebdomadaire « Conversation avec l’Homme Auquel Nous Faisons Confiance », où Ferris Fremont s’exprimait depuis une alcôve de la Maison-Blanche, à la lueur d’un feu de bois.

Amener les masses à regarder Ferris Fremont délivrer ses discours posait un vrai problème, parce qu’il parlait d’une voix extrêmement ennuyeuse. On se serait cru en train de subir une interminable conférence sur quelque obscur aspect économique – et c’était exactement ça, parce que Fremont donnait invariablement les chiffres des différents postes ministériels. De toute évidence, il existait derrière son insignifiante personne toute une puissante équipe d’employés occultes de la Maison-Blanche, toujours invisibles, et qui lui fournissaient une infinité d’informations dactylographiées sur tous les sujets qui relevaient de son gouvernement. Fremont ne considérait apparemment pas tout cela comme dépourvu d’intérêt. « La production d’acier », disait-il en trébuchant sur les mots, et en lisant de travers la moitié de ce qui était écrit sur sa fiche, « est en hausse de trois pour cent, ce qui suscite un optimisme justifié dans les secteurs agricoles. » J’avais chaque fois l’impression d’être retourné à l’école, et les questionnaires que nous devions ensuite remplir renforçaient ce sentiment.

Ceci, toutefois, ne faisait pas apparaître Ferris Fremont comme un homme de paille agissant pour le compte de l’équipe qui l’alimentait en données ; au contraire, lorsqu’il s’éloignait du scénario qui avait été préparé à son intention, sa véritable sauvagerie surgissait au grand jour. Il aimait improviser chaque fois que l’Amérique, son honneur et son destin venaient sur le tapis. L’Asie orientale était un endroit où les soldats américains faisaient la preuve de cet honneur, et Fremont ne pouvait laisser passer aucune référence à ce sujet sans se lancer dans des commentaires au pied levé ; dans ces occasions, son visage cireux se creusait de rides de concentration, et il crachait des déclarations d’une sinistre détermination à l’encontre de quiconque contestait la puissance américaine. Nous disposions d’une surabondance de puissance américaine, à en croire Fremont. Il passait la moitié de son temps à mettre en garde des ennemis indéterminés contre cette puissance. D’ordinaire, je supposais qu’il s’agissait des Chinois, quoiqu’il estimât rarement nécessaire de les désigner nommément. Né en Californie, Fremont réservait aux Chinois une place particulière dans son cœur ; à l’entendre, on aurait cru que ceux-ci nous avaient fait payer trop cher leurs galons – point qu’il ne pouvait pas, et que son honneur lui interdisait d’oublier.

Vraiment, c’était le pire orateur que j’aie jamais entendu. Je souhaitais souvent que l’invisible équipe de la Maison-Blanche qui formait ses compatriotes se dresse, choisisse un de ses membres doués pour la parole et le délègue pour qu’il achève le discours préparé pour Fremont. Avec le bon costume rayé et la cravate criarde adéquate, peu de gens remarqueraient la différence.

Ces causeries de synthèse étaient diffusées sur tous les réseaux à l’heure d’écoute maximum, et il était sage de les écouter. On était censé le faire en laissant sa porte d’entrée ouverte, pour que les APA en vadrouille puissent se livrer à des contrôles intermittents. Ils distribuaient des cartes sur lesquelles étaient inscrites diverses questions bêtes portant sur le discours en cours ; on était censé cocher les bonnes réponses puis jeter la carte dans une boîte aux lettres. L’énorme personnel de la Maison-Blanche examinait ensuite scrupuleusement ce que l’on avait répondu pour s’assurer qu’on comprenait bien ce qu’on entendait. Il était obligatoire de mettre son numéro de Sécurité sociale sur la carte ; les autorités s’étaient mises à organiser le classement de leurs dossiers en fonction des numéros de Sécurité sociale. Les cartes réexpédiées allaient figurer au dossier permanent de leur auteur, personne ne savait pour quelle raison. Nous présumions que toutes ces cartes devaient rendre les dossiers très épais. Peut-être y avait-il de subtiles questions pièges, comme au niveau K du Minnesota Multiphasic, le prétendu « niveau du mensonge ».

Les questions semblaient parfois tordues, effectivement, et laissaient la porte grande ouverte à d’accidentelles réponses compromettantes. L’une d’entre elles disait :

La Russie 1° s’affaiblit ; 2° se renforce ; 3° reste à peu près au même niveau par rapport au Monde libre.

Naturellement, Rachel, Nicholas et moi, qui remplissions nos cartes à l’unisson, cochâmes le 2°. L’idéologie de nos dirigeants soulignait sans arrêt la force croissante de la Russie, et la nécessité pour le Monde libre de doubler continuellement son budget militaire juste pour se maintenir au même niveau.

Toutefois, une question ultérieure rendait celle-ci suspecte.

La technologie russe est 1° très bonne ; 2° correcte ; 3° typiquement inepte.

Bon, si l’on optait pour le 1°, on avait l’air de faire un compliment aux communistes. Le 2° était probablement le meilleur choix, étant donné que c’était sans doute vrai, mais la façon dont le 3° était formulé paraissait suggérer que tout citoyen bien pensant le cocherait sans réfléchir. Après tout, à quoi pouvait-on s’attendre de la part d’esprits slaves enchaînés ? À une ineptie typique, c’était sûr. Nous étions très bons, pas eux.

Mais si leur technologie était typiquement inepte, comment le 2° pouvait-il être la réponse correcte à la question précédente ? Comment une nation dotée d’une technologie typiquement inepte pouvait-elle devenir plus forte que nous ? Nicholas, Rachel et moi revînmes sur la question précédente et modifiâmes notre réponse en 1°. Comme ça, elle concordait avec « typiquement inepte ». Le questionnaire hebdomadaire comportait de nombreux pièges. L’U.R.S.S., comme un lutteur japonais, était à la fois stupide et habile, forte et faible, sur le point de gagner et sûre de perdre à tous les coups. Tout ce que nous avions à faire, nous qui vivions dans le Monde libre, c’était ne jamais faiblir. Ce que nous faisions en retournant nos cartes régulièrement. C’était le moins que nous puissions faire.

La solution du dilemme ci-dessus nous fut communiquée par Ferris Fremont la semaine d’après. Comment une nation dotée d’une technologie typiquement inepte pouvait-elle devenir plus forte que nous ? En recourant ici même à la subversion, en sapant la volonté des Américains par le biais d’un défaitisme sournois. Il y avait une question à ce sujet sur la carte suivante :

Le plus grand ennemi que l’Amérique ait à affronter est 1° la Russie ; 2° notre niveau de vie élevé, le plus élevé que le monde ait jamais connu ; 3° les éléments secrètement infiltrés parmi nous.

Nous savions qu’il fallait cocher le 3°. Pourtant, ce soir-là, Nicholas était d’humeur un peu folle ; il avait envie de choisir le 2°.

« C’est notre niveau de vie, Phil, dit-il en me faisant un clin d’œil. C’est ça qui va causer notre perte. Cochons le 2° tous les trois.

— Ce qui va causer notre perte, c’est de déconner dans nos réponses, lui dis-je. Ils prennent ces cartes au sérieux.

— Ils ne les lisent jamais, fit Rachel. Elles servent simplement à persuader les gens de ne pas manquer le discours hebdomadaire de Fremont. Comment pourraient-ils lire tout Ça ? Deux cents millions de cartes par semaine.

— Lecture par ordinateur, dis-je.

— Je vote pour que nous choisissions le 3° sur cette question », déclara Nicholas. Ce qu’il fit.

Nous complétâmes nos cartes puis, à l’instigation de Nicholas, lui et moi partîmes pour la boîte aux lettres, nos trois cartes glissées dans les enveloppes préaffranchies fournies par le gouvernement.

« Il faut que je te parle, me dit Nicholas dès que nous fûmes sortis.

— D’accord. » Je croyais que c’était à propos des cartes. Mais ce n’était pas ça qu’il avait en tête. Dès qu’il ouvrit la bouche, je compris pourquoi il se comportait de façon si déconcertante.

« J’ai capté l’émission la plus stupéfiante que SIVA m’ait transmise jusqu’ici, dit-il d’une voix grave, très sérieux. Ça m’a complètement retourné. Avant ça, rien… attends que je te raconte. Ce que j’ai vu, c’était l’image de cette femme, une fois de plus. Elle était assise dans un salon moderne, par terre, à côté d’une table basse. Il y avait un tas de types tout autour d’elle, tous vêtus de costumes chers dans le style de la côte est, des costumes de membres de l’establishment. C’était des hommes jeunes. Ils étaient à fond engagés dans une discussion. Soudain, la femme, quand ils ont pris conscience de sa présence, elle… (il marqua un temps) elle a ouvert son troisième œil, celui qui a un objectif à la place d’une pupille ; elle l’a braqué sur eux, Phil, et alors… elle a lu dans leur cœur. Ce qu’ils avaient fait et qu’ils ne reconnaissaient pas, ce qu’ils projetaient de faire : tout ce qui les concernait. Et elle a continué de sourire. À aucun moment ils ne se sont aperçus qu’elle possédait cet œil dont l’objectif peut tout voir, et qu’elle lisait au plus profond d’eux-mêmes. Ils n’avaient plus de secret pour elle, il n’y avait rien qu’elle ignorât. Tu sais ce qu’elle a appris sur eux ?

— Vas-y.

— C’était des conspirateurs, dit Nicholas. Ils avaient mis sur pied les meurtres de tous ceux qui ont été assassinés : le Dr King, les deux Kennedy, Jim Pike, Malcolm X, George Lincoln Rockwell – le chef du parti nazi… Tous. Phil, Dieu m’est témoin, je sais qu’elle a vu ça. Et en la regardant j’ai été amené à comprendre ce qu’elle était : la sibylle. La sibylle romaine qui veille sur la république. Notre république. »

Nous étions arrivés à la boîte aux lettres. Nicholas s’arrêta devant, se tourna vers moi et me posa la main sur l’épaule.

« Elle m’a fait comprendre qu’elle les avait vus et qu’elle savait ce qu’ils avaient fait. Et qu’ils auraient à répondre devant la justice. Le fait qu’elle les ait vus le garantissait. Ils n’ont aucun moyen d’éviter de payer pour ce qu’ils ont fait.

— Et ils n’ont pas pris conscience de sa présence, dis-je.

— Il ne leur est même pas venu à l’esprit que leurs actes pouvaient être connus, et connus d’elle. L’idée ne les a même pas effleurés – ils ont continué à plaisanter et à rire, comme une bande de copains, et elle était là à les surveiller avec son troisième œil, l’œil-caméra, et elle souriait avec eux. Ensuite, l’œil et son objectif ont disparu et elle a eu de nouveau l’air d’une personne ordinaire. Semblable à toutes les autres.

— Quel est le but de la conspiration ? »

La voix de Nicholas devint rauque. « Ce sont tous des potes de Ferris Fremont. Sans exception. J’ai été amené à comprendre – j’ai compris – que la scène se passait dans une chambre d’hôtel de Washington, D.C. ; un hôtel de luxe.

— Bon Dieu, fis-je. Bon, je vois deux informations bien distinctes là-dedans. Notre situation est pire que nous ne le pensions ; c’est le premier point. Le second point, c’est qu’on va nous aider.

— Oh, elle va nous aider, pas de problème. Crois-moi, mon vieux, je n’aimerais pas être à leur place. Et ils continuaient de faire de grands sourires, ils continuaient de se balancer des vannes. Ils croient que c’est dans la poche. Ils se trompent. Ils sont foutus.

— Je croyais que c’était nous qui étions foutus.

— Non, dit Nicholas. C’est eux.

— Est-ce qu’on fait quelque chose ?

— En ce qui te concerne, je ne pense pas. Mais… (il hésita) moi, je crois que je vais être obligé. À mon avis, ils vont m’utiliser, le moment venu. Quand ils commenceront à agir.

— Ils agissent déjà maintenant ; d’abord, ils t’ont mis au courant. S’ils préviennent assez de gens, le tour est joué. Ils n’ont qu’à dire la vérité sur la façon dont notre présent régime est parvenu au pouvoir. En accumulant les cadavres, les cadavres de certains des hommes les plus remarquables de notre temps.

— C’est effroyable, dit Nicholas.

— Tu es sûr que tu n’as pas juste rêvé tout ça ?

— C’est venu pendant un rêve, reconnut Nicholas. Jamais rien de semblable ne m’avait été transmis auparavant. Phil, tu as vu ce qui s’est passé le fameux soir, avec Johnny. Quand…

— Ainsi, Ferris Fremont a organisé leurs assassinats.

— C’est ce que la sibylle a découvert, oui.

— Pourquoi toi ? fis-je. Alors qu’il y avait tant de personnes susceptibles de recevoir le message.

— Phil, demanda Nicholas, combien de temps faut-il pour sortir un livre ? À partir du moment où on commence à l’écrire ?

— Trop longtemps. Un an et demi minimum.

— C’est trop longtemps. Elle n’attendra pas si longtemps ; je le saurais. Je le sentirais.

— Combien de temps va-t-elle attendre ?

— Je ne crois pas qu’elle va attendre. Je crois que pour eux faire des projets et agir reviennent au même. Ils projettent et agissent simultanément. Ils sont une forme d’absolue intellection, de purs esprits. Elle est un esprit omniscient à qui on ne peut rien cacher. Ça donne le frisson.

— Mais c’est une très bonne nouvelle, dis-je.

— Une bonne nouvelle pour nous, en tout cas. Nous n’allons plus très longtemps réexpédier ces foutues cartes.

— Ce que tu devrais faire, dis-je, c’est écrire à Ferris Fremont pour lui dire que lui et ses sbires ont été vus par la sibylle romaine. Qu’est-ce que tu sais sur la sibylle romaine ? Tu sais quelque chose ?

— J’ai cherché ce matin dans ma Britannica. Elle est immortelle. La sibylle originelle vivait en Grèce ; c’était un oracle du dieu Apollon. Puis elle est devenue gardienne de la république romaine ; elle avait écrit un tas de livres qu’ils avaient coutume d’ouvrir et de lire lorsque la république était en danger. (Il ajouta :) Je repense maintenant aux grands livres ressemblant à des Bibles que je voyais, et qu’on tenait ouverts devant moi, au tout début, quand mes expériences ont commencé. Tu sais, la sibylle est devenue sacrée pour les chrétiens. Ils la considéraient comme un prophète au même titre que les prophètes hébreux. Veillant sur les croyants et les justes pour empêcher qu’on leur fasse tort. »

Ça semblait être exactement ce qu’il nous fallait. La protection divine. La gardienne de la république avait répondu à l’appel depuis l’autre bout des corridors du temps, à sa façon coutumière. Après tout, les États-Unis n’étaient-ils pas une extension de la république romaine à travers le temps linéaire ? De bien des façons, ils l’étaient. Nous avions hérité de la sibylle romaine ; comme elle était immortelle, elle avait poursuivi son œuvre après que Rome avait disparu… disparu, mais continué d’exister sous de nouvelles formes, avec de nouveaux systèmes linguistiques et de nouvelles coutumes. Sur le fond, l’Empire avait survécu : une langue unique, un système légal unique, une seule monnaie, de bonnes routes – et le christianisme, la religion légale de la fin de l’Empire romain. Après l’âge des ténèbres, nous avions reconstruit peu à peu ce qui avait existé et même davantage. Les dents de l’impérialisme étaient allées se planter jusqu’en Asie du Sud-Est.

Et Ferris F. Fremont est notre Néron, pensai-je.

« S’il ne fallait pas si longtemps pour produire un bouquin, disait Nicholas, je croirais que SIVA m’a mis au courant pour que je te répète tout et que tu puisses t’en servir pour une idée d’intrigue. Mais le facteur temps exclut cette hypothèse… à moins que tu ne l’aies déjà fait. »

Il me jeta un regard plein d’espoir.

« Non, répondis-je, en toute innocence. Jamais utilisé un truc que tu m’as dit. Trop jeté.

— Et ça, tu le crois, hein ?

— Entièrement. Comme me disait une fois un agent du F.B.I. qui me secouait comme un prunier : “Tu crois tout ce qu’on te raconte.”

— Et… Tu ne peux pas t’en servir ?

— C’est à toi que c’est destiné, Nicholas. C’est toi qu’ils veulent, pas moi. Alors vas-y, fonce.

— Je “foncerai” quand j’aurai reçu le signal. Le stimulus de désinhibition. » Il attendait encore ce truc-là. L’attente avait dû être dure, mais sûrement pas aussi dure que de devoir choisir que faire et quand. Il lui suffisait d’attendre que le signal vienne de lui-même et libère l’entité séculaire qui sommeillait en lui.

« Si SIVA a l’intention de faire perdre son poste à Ferris Fremont, dis-je, je me demande bien comment il va s’y prendre pour y arriver.

— Peut-être en donnant des malformations congénitales à ses fils. »

L’idée me fit rire. « Tu sais ce que ça évoque, pour moi ? Jéhovah contre les Égyptiens. »

Nicholas ne dit rien. Nous poursuivîmes notre chemin.

« Tu es sûr que ce n’est pas Jéhovah ? lui demandai-je.

— Difficile de prouver un truc négatif, qu’il ne s’agit pas de telle ou telle chose.

— Mais as-tu envisagé sérieusement la possibilité que ce soit lui ? Parce que si c’est le cas, nous ne pouvons pas perdre. Ils ne peuvent pas gagner.

— Ils sont foutus, déclara Nicholas.

— Tu sais ce qu’ils vont choper ? Des caillots dans le sang, de l’hypertension, des problèmes cardiaques, le cancer ; leurs avions vont s’écraser ; des insectes vont bouffer leurs jardins ; leurs piscines de Floride vont voir des moisissures mortelles croître à leur surface – tu sais ce que ça veut dire d’essayer de se dresser contre Jéhovah ?

— Ne m’en parle pas, dit Nicholas. Je ne le fais pas. Je ne le ferais à aucun prix.

— Tu ferais mieux de mettre le prix pour ne pas le faire. » Soudain, Nicholas baissa vivement la tête, me saisit par le bras. « Phil… Je ne vois plus que des espèces de feux de Bengale aveuglants. Comment est-ce que je vais faire pour rentrer ? » Sa voix tremblait de peur. « Des tournoiements de flammes, comme dans un feu d’artifice… Bon Dieu, je suis pratiquement aveugle ! »

Ainsi commença sa transformation intérieure. Le moment était vraiment mal choisi ! Il fallut que je le reconduise chez lui, vers sa femme et son fils, comme s’il était un enfant. Tout le long du chemin, il bredouilla de peur, tassé sur lui-même et se cramponnant à moi. Je ne l’avais jamais vu effrayé à ce point.

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